Les plaies de taille, une porte ouverte aux champignons de l'Esca

Les spores des champignons de l’Esca, principale maladie du bois en Europe, rentrent par les plaies de taille. Au-delà de la nécessaire protection des blessures, un ensemble de pratiques permettent de contenir le développement des pathogènes responsables des dépérissements de ceps.

« Je fais partie de ceux qui pensent que l’extension de l’Esca est pour partie la conséquence d’un itinéraire technique impliquant des blessures multiples et différentes pratiques contrariant ou stressant la plante . »

« En Europe, la conduite de la vigne et la qualité de la taille doivent être repensées en priorité. Il serait préférable également de protéger les plaies si on veut ralentir le développement des maladies du bois »

Plusieurs facteurs expliqueraient la montée en puissance des maladies du bois, principalement de l’Esca en Europe, au-delà de l’arrêt de l’arsenite de soude. Pour Pascal Lecomte, ingénieur à l’Inra de Bordeaux, le changement climatique, avec des périodes de sécheresse et des températures élevées, est l’un des paramètres qui a pu fragiliser la vigne et accélérer les dépérissements. Les taux de maladie varient considérablement d'une parcelle à l'autre en fonction de l'âge des ceps, du cépage et des conditions pédo-climatiques mais surtout, selon les pratiques. Les modes actuels de conduite de la vigne, avec une multitude de plaies de tailles, non protégées, créent autant de portes d’entrée pour les spores des pathogènes du bois. Dans cet itinéraire, la qualité de la taille est un facteur capital qui peut accélérer ou ralentir les dépérissements.

Les spores des champignons pathogènes pénètrent par les plaies de taille notamment pendant la période hivernale suite à des pluies.

La conduite de la vigne en cause

Deux théories se confrontent pour décrypter le fonctionnement de l’Esca. Certains mettent en avant l’action des champignons, d’autres la fragilisation de la vigne par un ensemble de pratiques. Pour Pascal Lecomte, même s’il ne faut pas oublier que les champignons lignicoles sont des acteurs à part entière dans l’expression des maladies, ils ne détiennent pas forcément le premier rôle. « La vigne est une liane, cultivée comme un arbuste, voire un bonsaï auquel on ne couperait pas les racines. Chaque année, on supprime 90 % de sa production de bois jeunes. Les plaies de tailles sont récurrentes et la circulation de la sève sans cesse perturbée ou redirigée ! Ces deux facteurs aggravent la sensibilité à l’Esca. » Dans des cas de dépérissements du bois, on remarque un cumul de nécroses en tête du tronc avec une multiplication de plaies de tailles concentrées et non-protégées.

Modifier les pratiques de taille et encourager la protection des blessures

Autres constats, cette fois plus culturels : « En Californie, en Australie, l’Esca n’est pas ou peu présent par contre de gros problèmes d’Eutypiose sont observés », ajoute-t-il. Dans nombre de vignoble, les viticulteurs ont pris l’habitude de protéger systématiquement les plaies de taille. En Europe, cette pratique reste confidentielle ». Logiquement, lorsqu’un cep doit être reformé à partir du tronc, du mastic devrait aussi être appliqué sur les grosses coupes pour empêcher les pathogènes de pénétrer et favoriser la cicatrisation. Ce principe de protection est acquis en arboriculture, moins en viticulture. Pour l’ingénieur, les viticulteurs doivent changer leurs habitudes voire revenir à des pratiques, de bon sens, comme au début du XXe siècle. « Tant que l’on taillera la vigne de façon mutilante, le risque d’Esca perdurera. Si on modifie les pratiques, par exemple en respectant mieux les trajets de sèves ou en privilégiant des formes avec des bras longs ou des tailles minimales, on arrivera à la contenir. »