Colloque HerbiPro : deux visions croisées de l’IA au service de l’agriculture
L’intelligence artificielle (IA) devient un outil concret pour chercheurs, prescripteurs et agriculteurs. Lors du colloque HerbiPro organisé par Bayer en février dernier à Paris, Mélanie Héroult (Bayer) et Mehdi Siné (Acta) ont illustré les usages en agriculture.
Face à l’ampleur des défis réglementaires concernant les produits phytopharmaceutiques, l’intelligence artificielle peut devenir un levier décisif. Chez Bayer, c’est même une conviction. Depuis 2020, l’entreprise a engagé un changement radical de méthode pour concevoir les solutions de demain. Son nom : CropKey. Une stratégie qui s’appuie sur la biologie moléculaire, la modélisation et l’IA pour intégrer dès le départ les critères de sélectivité, d’efficacité et d’impact environnemental. Autant de prérequis désormais indispensables à l’obtention des AMM.

« Cette nouvelle approche s’appelle CropKey, explique Mélanie Héroult, responsable du programme herbicides. Elle repose sur la biologie moléculaire, la modélisation et l’intelligence artificielle. L’objectif est d’identifier une protéine essentielle au bioagresseur — la serrure —, la modéliser, puis concevoir une molécule capable de s’y fixer — la clé. »
Conception des molécules par IA, plus rapide et mieux ciblée
Jusqu’ici, prédire la structure 3D d’une protéine à partir de sa séquence génétique relevait du défi. Aujourd’hui, avec AlphaFold, un logiciel développé par Google DeepMind, cette étape prend quelques heures. « C’est une révolution », affirme Mélanie Héroult.
Une fois la cible identifiée, les chimistes explorent des bibliothèques de structures virtuelles. « Cet espace virtuel représente une véritable source d’innovation avec 1060 options pour concevoir de nouvelles molécules », révèle la chercheuse. L’IA joue ici le rôle d’un bibliothécaire. « C’est elle qui va chercher les molécules qui s’ajustent à la protéine, comme dans un jeu de Lego », décrit Mélanie Héroult.
Le design de la molécule s’affine ensuite sur écran : ajouter un atome, retirer une fonction, modifier une chaîne latérale…
« Dès la phase de conception, nous intégrons des critères écotoxicologiques, indique-t-elle. Ce travail en amont réduit le risque d’échec. Il ouvre également la voie à des solutions adaptées aux résistances. Nous modélisons les protéines sensibles et résistantes. Ainsi, nous concevons des molécules capables de contourner les résistances aux herbicides. »
En cinq ans, trente nouvelles molécules cibles ont été identifiées. Les premières pourraient arriver sur le marché après 2030.
« Dès la phase de conception, nous intégrons des critères écotoxicologiques, indique Mélanie Héroult. Ce travail en amont réduit le risque d’échec. Il ouvre également la voie à des solutions adaptées aux résistances. Nous modélisons les protéines sensibles et résistantes. Ainsi, nous concevons des molécules capables de contourner les résistances aux herbicides »
Meilleur suivi des essais grâce à l’IA
Si avec l’IA la modélisation s’accélère, les essais terrain, eux, conservent leur rythme. Mais là encore, l’IA n’a pas dit son dernier mot. Toutefois, lors de ces étapes, l’IA permet de mieux combiner la compréhension mécanistique et la science des données. Par exemple, elle aide à prédire l’activité biologique des bioagresseurs et à modéliser le fonctionnement des plantes.
Dans les serres, l’IA recueille et analyse les données. Le futur proche est de relier les observations en milieu contrôlé et au champ afin d’évaluer les molécules dans les meilleures conditions.
Pour autant, la recherche reste en phase de transition. Un pathogène peut contenir entre 10 000 et 25 000 protéines. Seules quelques milliers d’entre elles présentent un intérêt. « Il faut encore progresser dans le séquençage des génomes des pathogènes et des végétaux pour disposer de plus de connaissance sur les cibles », assure Mélanie Héroult.
Quand l’IA devient un outil du quotidien agricole
L’intelligence artificielle n’en est pas à ses débuts. Lors du colloque HerbiPro, Mehdi Siné, directeur de l’Acta a d’ailleurs rappelé qu’elle émerge dans les années 1940 avec les travaux d’Alan Turing. Dès 1956, le principe de neurones artificiels et le terme d’intelligence artificielle sont posés. « La même année que la fondation de l’Acta », glisse-t-il. Le vrai tournant arrive dans les années 2000 avec le « machine » et le « deep learning ». « Dès lors, l’IA apprend à reconnaître des objets dans des images et commence à faire mieux que les humains dans plusieurs domaines », précise-t-il.
L’agriculture suit le mouvement. Depuis des années, l’IA soutient les choix techniques via les Outils d’aide à la décision (OAD) comme Farmstar. De plus en plus d’OAD stratégiques et de jumeaux numériques apparaissent, permettant de réaliser des simulations complexes .On la retrouve également dans les agroéquipements, dans l’analyse des sols, la détection des bioagresseurs. Elle sert aussi en recherche variétale dans le cadre du phénotypage à haut débit où des capteurs scannent les parcelles avec un niveau de résolution très élevé. Les algorithmes analysent plus vite, plus finement que l’œil humain. « Depuis le milieu des années 2010, certaines tâches sont mieux faites par la machine, observe l’expert. Et surtout, elle travaille 24 h/24. »
Usages émergeants en agriculture avec l’IA générative

Avec l’IA générative, de nouveaux usages émergent depuis 2022. « Au sein des instituts techniques nous la testons sur diverses tâches comme l’édition des Bulletins de Santé du Végétal ou l’exploration de bases de connaissances, rappelle Mehdi Siné. Mais les outils disponibles présentent encore de très nombreuses limites. Ce sont des modèles statistiques, pas des êtres intelligents ». D’ailleurs, il teste auprès des participants du colloque la capacité d’un collectif humain à reconnaitre des adventices à partir de photos puis compare les résultats avec les applications ChatGPT et PlantNet. Si la réponse très assurée du chatbot ne tarde pas à apparaitre, l’outil d’IA générative confond panic pied de coq et véronique ! « Ce n’est pas parce que l’IA a réponse à tout qu’elle sait répondre à tout », avertit-il.
Beaucoup repose sur la qualité des données. « Si vous n’avez pas de bonnes données pour entraîner le modèle, vous n’aurez pas de bons résultats », insiste Mehdi Siné. Bayer l’a bien compris. Son chatbot interne dédié au désherbage des betteraves Conviso® Smart se nourrit uniquement de données techniques et scientifiques validées.
Reste que l’IA générative s’imposera sans doute dans des outils existants et pas forcément en accès direct mais elle sera toujours à manier avec méthode et esprit critique.
« Les outils d’IA génératives explosent depuis novembre 2022, partage Mehdi Siné, Directeur général de l’Acta lors du colloque HerbiPro. Ils ne sont pas magiques et présentent encore de nombreuses limites. Cependant, ils peuvent faire gagner en productivité. Une formation est alors nécessaire pour bien les utiliser »